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Chris Dhlamini et Gandhi Mudzingwa
. (Ph.MF)




Au Zimbabwe, la lutte pour rétablir l'état de droit

Anxieux, ils attendent silencieusement sur les bancs décrépits de la salle d'audience du tribunal de police d'Harare. Le parquet poussiéreux s'effrite sous leurs pieds, les systèmes d'aération refoulent une forte odeur d'urine. Quelques regards se fixent sur les fenêtres crasseuses qui retiennent les premiers rayons de soleil de la matinée. Défenseurs des droits de l'Homme, journalistes et opposants politiques, ils sont une trentaine à comparaître devant le juge pour terrorisme. Tous accusés, sans preuve, de vouloir renverser le régime d'un homme, Robert Mugabe. Intimidés, kidnappés, torturés puis relâchés, ils sont à présent victimes d'un système judiciaire corrompu aux mains d'agents de l'Etat pressés de les réduire au silence.

Pourtant cela fait déjà plus de trois mois que le nouveau gouvernement d'union est en place au Zimbabwe. Morgan Tsvangirai, leader du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), est devenu premier ministre et partage le pouvoir avec Robert Mugabe, le dictateur jusqu'au-boutiste à la tête du pays depuis 29 ans. Mais sur place, si les violences semblent avoir diminué, les ONG tirent la sonette d'alarme. Dans son dernier rapport, Amnesty International demande au nouveau gouvernement de stopper les agents qui continuent de bafouer les droits fondamentaux des Zimbabwéens.

Fidelis Chiramba, 72 ans, a fait le déplacement jusqu'au tribunal d'Harare. Il se demande toujours pourquoi il a été enlevé une nuit de novembre 2008. "Des agents habillés en civil sont entrés de force dans ma maison. Ils m'ont ligoté, bandé les yeux puis jeté à l'arrière d'un camion." Pendant plusieurs semaines, Fidélis subit les abus de ses tortionnaires. "Ils m'ont mis dans une cellule et m'ont jeté de l'eau bouillante sur le corps. J'étais couvert de boursouflures. Et puis ils m'ont enfermé dans une chambre froide". Fidélis est accusé d'avoir organisé l'entraînement de soldats au Botswana pour renverser Mugabe. Les yeux gonflés de vieillesse, mais la voix assurée, il n'a pas peur de parler. " Est-ce que j'ai l'air d'un terroriste? Je n'ai rien fait de mal. Rien! ".

Dans la salle d'audience, Beatrice Mtetwa, avocate de la défense, prend la parole: "Aucune preuve n'a encore été officiellement présentée par l'Accusation. Cela fait trois mois que nous attendons!" La juge Chimanda s'applique à prendre elle-même note des déclarations - les greffiers, non payés depuis plusieurs mois, ont déserté les tribunaux. L'avocat de l'Accusation murmure quelques excuses inaudibles. "Lors de la dernière audience, il avait expliqué que sa photocopieuse ne fonctionnait plus", souffle incrédule, une jeune assistante de la ZLHM (Zimbabwean Lawyers for Human Rights). La séance est à nouveau reportée sans que le sort des accusés ne soit scellé.

Comme la majorité des accusés présents au tribunal, Fidélis est officieusement poursuivi pour son affiliation au MDC. Il organise des meetings dans son district et parle de démocratie. Le pacte sur le partage du pouvoir signé en septembre 2008 entre le Zanu-PF et le MDC promettait pourtant de légaliser les réunions politiques quelque soit l'appartenance des militants. Morgan Tsvangirai avait accepté de rejoindre le gouvernement d'union si ce pacte était respecté. Entre octobre 2008 et février 2009, 39 personnes ont été kidnappées. Le 13 février, le gouvernement d'union est entré en fonction. Trente-deux opposants ont obtenu leur liberté sous caution en attendant un éventuel procès.

Gandhi Mudzingwa et Chris Dhlamini n'ont pu se rendre au tribunal. L'un est l'assistant personnel de Morgan Tsvangirai, le second son garde du corps. Après avoir été torturés puis relâchés sous caution, ils sont à présent soignés dans une clinique d'Harare. Mais leur libération n'a rien d'une sinécure. A la porte de leur chambre d'hôpital, deux policiers montent la garde. "Dans la nuit, des agents secrets au service du Zanu-PF viennent nous rendre visite, murmure Chris Dhlamini. Nous sommes à nouveau en détention!" Gandhi Mudzingwa, lui, ne souhaite pas s'apesantir sur son sort. " Ce qu'il nous faut, c'est aider Morgan [Tsvangirai]. Nous devons obtenir une aide financière des Etat-Unis pour stabiliser l'économie du pays." Un policier passe devant le hublot de la chambre. Silence.

Les militants politiques ne sont pas les seuls à être parmi les victimes du régime. A l'extérieur de la salle d'audience, les accusés se sont regroupés autour de Jestina Mukoko, fervente critique du régime de Mugabe. La journaliste et directrice de l'organisation ZPP (Zimbabwe Peace Project) qui milite pour les droits de l'Homme dans le pays est elle aussi sur le banc des accusés. Sa renommée et son combat font sa force même s'ils l'ont menée tout droit derrière les barreaux. En décembre dernier, 15 hommes l'enlèvent à sa résidence. Elle est torturée puis relâchée 3 mois plus tard. Elle ne souhaite pas donner d'interview. "Pas encore, pas maintenant. Tout ce que je dis pourrait être prétexte à une nouvelle incarcération." Elle mumure son numéro de portable, puis s'éclipse. Finalement, elle n'aura pas eu besoin de parler aux médias pour se mettre en danger. Trois jours plus tard, elle est à nouveau incarcérée pour terrorisme puis relâchée le lendemain.

Ces arrestations et intimidations attestent de la fragilité du gouvernement d'union. Si Morgan Tsvangirai les a condamnées parce qu'elles "menacent la survie du pacte de partage du pouvoir", Beatrice Mtetwa émet quelques réserves sur les bonnes intentions du MDC. "S'il y a des avancées? Oui peut-être, mais tout se passe à huis-clos, nous ne savons pas comment la démocratie de ce pays est négociée entre Zanu-PF et MDC. Et puis les arrestations arbitraires continuent". Dix années que cette brillante avocate lutte pour rétablir l'état de droit au Zimbabwe. Son combat a été récompensé en mai par le prix international des droits de l'Homme Ludovic-Trarieux. Elle devient la deuxième avocate africaine à le recevoir, 25 ans après Nelson Mandela. " Cela confirme que notre combat est juste. Il peuvent continuer à nous menacer, je continuerai. Si je me retrouve seule à défendre ces personnes au Zimbabwe, alors je suis prête à relever le challenge."

Sans aucune amélioration et engagement sérieux du nouveau gouvernement d'union, l'aide financière apportée par la communauté internationale sera retardée. Dans un pays où tout est à reconstruire, le temps est compté.







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