Zimbabwe: "Tout va bien, je suis encore vivant"


Edmore, Fideline et l'oncle Honest*, ce sont des hommes et des femmes ordinaires, qui vivent sous la répression du dictateur jusqu'au-boutiste Robert Mugabe. Ils sont les premières victimes d'un régime oppressif en place depuis plus de 28 ans. Rencontrés en décembre, ils devaient faire face à l'épidémie de choléra et la famine. Puis, l'été est venu, le parti d'opposition, le Mouvement pour le changement démocratique, aussi. Depuis février, la formation d'un gouvernement d'union offre une miette d'espoir à des millions de Zimbabwéens.


Décembre 2008. Il pleut depuis trois jours sur la campagne du Mashonaland occidental. Une pluie abondante et continue qui innonde des terres habituellement taries par un soleil de plomb. Edmore, affublé d'un chapeau de père Noël décrépit, esquisse un sourire. Ses 150 m2 de maïs commencent à exhiber leurs feuilles vertes. “Il était temps, la pluie est arrivée avec deux semaines de retard”. Mais l'optimisme du vieil homme amaigri s'arrête là. La récolte n'aura lieu qu'au mois de mars. D'ici là, il doit faire vivre huit personnes. 


Ye, ye, ye... tsss...” Assis sous sa hutte de terre, les yeux fixés sur ses pieds nus, il trouve difficilement les mots pour expliquer son tourment. “On ne peut plus acheter de nourriture. Les magasins n'acceptent que des rands (monnaie sud-africaine) ou des dollars américains.” Edmore est un millionnaire malchanceux. Ses millions de dollars sont zimbabwéens. Et avec une inflation record de 231 millions %, des paquets de biscuits – l'une des rares denrées encore disponibles dans les magasins - à 700 millions l'unité (environ 7 €), ces chiffres qui ne veulent plus rien dire assombrissent pourtant l'avenir du Zimbabwe.


En attendant la récolte, Edmore compte sur sa femme et ses deux jeunes fils pour subvenir à leurs besoins. Mais le destin s'acharne. “Mon aîné est décédé d'un mal d'estomac”, murmure Edmore. Depuis août 2008, mourrir d'un mal d'estomac, c'est mourir du choléra. L'épidémie s'est répandue comme pour certifier l'état de décadence totale qui touche le pays. La maladie a déjà fait plus de 4300 morts et 98 300 malades, selon les derniers chiffres de l'OMS. Edmore a creusé un puit devant sa hutte. Chaque jour, il y puise sa seule source d'eau. Une eau trouble et jaunâtre qu'il fait bouillir pour éviter toute contamination.


La femme d'Edmore travaille sur la ferme du richissime directeur de la Banque de réserve d'Harare, Gideon Gono, grand ami de Robert Mugabe. Fideline ne reçoit aucun salaire, sinon 5 kg de pommes de terre par semaine. Elle refuse d'en dire plus, par peur de représailles. Depuis la route qui relie Harare à la petite ferme, on peut apercevoir l'exploitation de Gono: des choux, des tomates, du maïs... Un éden jalousement protégé du désert rampant qui l'entoure.



L'oncle Honest travaille pour la ferme voisine occupée par d'anciens combattants depuis l'indépendance du pays en 1980. Son regard vitreux témoigne de ses longues années de labeur. Le vieil homme chétif, engoncé dans sa veste verte de tweed usé, occupe une case d'environ 6 mètres carrés. Sept jours sur sept, il entretient le jardin du propriétaire. Son salaire, c'est son loyer. Honest n'a pas le choix, s'il ne travaille pas sur la ferme, les vétérans l'expulseront définitivement. Il a 76 ans.



Mai 2009. Depuis le 13 février, Morgan Tsvangirai a rejoint le gouvernement et partage le pouvoir en tant que premier ministre. Un gouvernement d'unité pour sauver un Zimbabwé opprimé?


Nous roulons à travers les herbes hautes qui ont recouvert la campagne zimbabwéenne pour retrouver Edmore et sa famille. Cinq mois ont passé, la pluie de décembre a laissé place à un soleil rasant et encore chaud qui inonde d'or le chemin tortueux qui nous mène à la ferme. L'oncle Honest apparaît, sa silhouette semble danser. D'ailleurs, il danse, une bière à la main. Son haleine refoule une forte odeur de houblon. Les yeux gonflés de vieillesse, il offre un large sourire édenté. “Tout va bien, je suis encore vivant!”


L'illusion d'un bonheur retrouvé est pourtant trompeuse. Edmore n'est pas aussi grisé. “Oui, il y a du changement. Mais...” Mais il n'a aucun moyen d'accéder aux dollars américains, l'unique devise acceptée depuis la dollarisation du pays en février. Les trillions de dollars zimbabwéens qu'il a entassé dans le fond de son jardin peuvent tout au plus lui servir de compost. Personne n'en voudra. Les magasins sont pourtant à nouveau pleins, la nourriture y est vendue en abondance.


Il écarte sa morosité d'un revers de main. “Venez plutôt voir mes chèvres, j'en ai 6!” Si tout semble aller mieux dans les campagnes finit par expliquer Edmore, c'est parce que la récolte et les mises bas viennent de s'achever. Une de ses huttes est remplie de maïs et quatre chevreaux ont vu le jour.

Pour Edmore, cela représente quelques mois de répis. Il sait que les démons de décembre n'attendent que l'épuisement des récoltes pour répéter leur danse macabre.


*Noms d'emprunt.


Altermondes, Les échos de la planète, Septembre 2009
Document PDF


Make a Free Website with Yola.